
Christian m’attend sur un banc, dans un parc, sa petite radio posée à côté de lui. Je ne sais pas où il vit. Lui, me montre un bosquet en me disant « là-bas ». Là-bas, il semble ne rien y avoir, mais c’est chez lui apparemment. J’acquiesce.
Christian c’est l’histoire qui te rappelle, une fois encore, que cela peut arriver à tout le monde. Que ça pourrait être toi, puisque ça a été lui. Il a travaillé toute sa vie. Il avait une maison. Une famille. Et il a maintenant un grand fils, qui vit au Quebec, et avec qui il fait des appels vidéo de temps en temps. Il y découvre avec tendresse et amusement les grimaces de ses petits-enfants : C’est un grand-père, tout simplement.
Mais avec moi, il se raconte, comme pour essayer de tirer des leçons du passé, ou relire sa vie, pas toujours simple. Peintre tapissier dans le bâtiment, il a toujours été apprécié pour son professionnalisme. Durant toute sa carrière, il enchaîne les missions en intérim, et se rend vite compte de certaines injustices : « J’estimais qu’il n’était pas normal que les intérimaires aient juste le droit de travailler, mais qu’ils n’aient pas le droit à certains avantages ». Alors il s’engage en tant que délégué du personnel. Avec son syndicat, il se bat pour que les intérimaires aient accès aux colis de Noël, aux voyages, et à des formations dignes de ce nom. Au bout de quelques années, il est même détaché pour cette mission. Il y passe tout son temps, toute son énergie, si bien que les conventions collectives ou les clauses juridiques n’ont aujourd’hui plus de secret pour lui. Après 20 ans de lutte et de longues négociations, il réussit à obtenir du gouvernement le maintien des 10% précarité. Pour lui c’est une grande fierté. Mais à vrai dire, il ne veut pas s’attarder sur ses réussites : il a plus grave à me raconter.
Plus grave, oui. Car arrivé à 60 ans, Christian a découvert malgré lui un autre monde : celui de la rue. Bien sûr, il n’était pas préparé pour cela. « C’est quand même con pour un délégué du personnel de se retrouver à la rue » avoue-t-il. Pourtant, après une vie professionnelle bien remplie, alors qu’il débute juste sa retraite, il se rend compte qu’il manque 300 euros à son salaire de retraité. Il tente alors de défendre ses droits auprès de l’administration. Le responsable lui rétorque : « Le calcul est bon. De toute façon, ou vous acceptez, ou vous n’êtes pas payé ». Et non, Christian n’accepte pas. Il sait qu’il est dans son droit et porte l’affaire en justice. Celle-ci met deux ans à reconnaître l’erreur et à la faire rectifier : Deux ans durant lesquels tous ses droits sont coupés.
Sans aucun revenus, Christian plonge progressivement dans la précarité, jusqu’à se retrouver à la rue, et à dormir entre les cartons, devant le Palais de Justice de Marseille. Pourtant, il garde en lui une conviction : « Je savais que j’allais gagner. Je savais que j’allais m’en sortir. C’était pas possible que je termine dans la rue ».
Il n’empêche, Christian découvre ce que c’est que de faire les poubelles, de construire un abris contre la pluie, de prendre sa douche dans un accueil de jour. « La Croix-Rouge m’a donné un bouquin, puis je me suis débrouillé par moi-même » explique t-il. Il apprend alors à connaître les gens de la rue : « Avant je croyais que si on était dans la misère, c’est qu’on ne voulait pas s’en sortir. Mais c’est plus compliqué que ça. Il y a des gens qui ne savent pas chercher un travail, qui sont malades, ou qui ont été mal dirigés… Maintenant je ne dis plus que ce sont tous des fainéants. »
Durant toute cette période de galère, Christian cache à son fils sa situation. Il ne dit rien non plus au juge, en charge de son dossier. « On est un peu fier » avoue t-il. « On ne veut pas que ça se sache ! … Parce qu’au fond, je n’aurais jamais dû me retrouver à la rue. C’est de ma faute, c’est ma fierté. Je ne voulais demander de l’aide à personne, même pas aux associations où j’ai été. »
Ce n’est que deux ans après, qu’il gagne le procès. Il sort de cette épreuve avec des indemnités et des dommages et intérêts, certes, mais non sans séquelles.
Quand je lui demande comment il a tenu, Christian m’explique : « Je me suis toujours dit : « Aide toi, et le ciel t’aidera. »… Et puis j’étais tellement en colère que j’ai survécu ! »
Aujourd’hui, Christian a 70 ans. Dix ans se sont écoulés depuis le jugement, mais il ne semble pas tout à fait rétabli de cette histoire. Pourtant, au contact d’associations durant ses années de galère, il est ressorti avec une idée : aider et accompagner les autres, pour donner du sens à sa vie. Il devient bénévole à l’Ordre de Malte, puis à l’Armée du Salut, où il distribue des repas pour les personnes à la rue. Il s’investit ensuite à long terme pour les Petits Frères des Pauvres, en accompagnant d’abord une femme âgée isolée, puis en s’occupant du jardin de l’association, et en s’investissant sur la construction d’un projet d’Accompagnement Vers le Logement. Enfin, avec une fidélité hors norme, il sert des repas aux personnes âgées isolées et en grande précarité. « On les reçoit comme s’ils étaient au restaurant » raconte-t-il, passionné par sa mission. Car Christian aime faire plaisir et rendre les gens heureux. Il a trouvé sa place en tant que bénévole.
Un jour, alors qu’il se promène en ville, il recroise un des salariés de l’accueil de jour dans lequel il allait, lorsqu’il était à la rue. Celui-ci vient le voir pour prendre des nouvelles et lui dit : « Pour toi, on a rien fait ! ». Christian lui répond : « Si ! C’est la présence qui est importante. J’avais quelqu’un à qui parler. Toi, tu m’as écouté ! »
Christian est engagé depuis plusieurs années en tant que bénévole aux Petits Frères des Pauvres : « Quand tu accompagnes une personne, tu vois combien elle est contente ! Ca fait du baume au cœur ! »
Si vous aussi vous souhaitez soutenir les Petits Frères des Pauvres, rendez-vous sur leur site !
C’est une campagne pour petits frères des pauvres? C’est canon! Ça donne envie d’agir. Bise
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Ce n’est pas une campagne de com’ mais oui, ca donne envie d’agir!… Merci pour ce commentaire!! 🙂
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